Vins et paysages : l’art subtil des abords de châteaux viticoles en Périgord

Aux portes des châteaux vignerons du Périgord, avant même de rencontrer leur vin, le paysage nous prépare à l’expérience. Ici, chaque allée, chaque pièce d’eau, chaque rangée d’arbres ou de vignes révèle une intention : celle d’associer l’identité viticole à une esthétique paysagère spécifique, reflet d’une histoire complexe et d’une modernité assumée.

Les abords ne sont plus de simples transitions entre la route et la cave. Ils deviennent le premier chapitre du récit que chaque domaine propose. Selon une enquête régionale réalisée en 2022 par le réseau Vignobles & Découvertes, plus de 76% des visiteurs jugent que l’accueil paysager influence significativement leur perception des vins et de l’authenticité du château (source).

Le Périgord, terre de châteaux Renaissance, baroques ou néo-médiévaux, a très tôt développé une tradition de jardins qui font écho à la magnificence des demeures. Les abords paysagers des domaines viticoles s’inscrivent dans cette lignée, mais la réinterprètent à l’aune de la viticulture contemporaine.

• La mise en scène du bâti : Les grandes allées d’arrivée — souvent bordées de cèdres bicentenaires, de tilleuls ou de cyprès — servent non seulement de perspectives, mais aussi de transitions émotionnelles, du monde ordinaire vers l’exception. Au château de Monbazillac, l’allée d’ifs parfaitement taillée précède la vue imprenable sur les coteaux.
• L’élargissement de la palette végétale : Dans de nombreux domaines, les traditionnels jardins à la française s’ouvrent désormais aux vivaces locales, aux essences mellifères destinées à favoriser la biodiversité, et aux plantes aromatiques en lisière de vignes, à l’image de ce qui se fait au Château de Tiregand, pionnier de l’agroécologie dans le Bergeracois.
• Des espaces d’accueil repensés : Parcs ombragés, clairières pour pique-niques, et petits labyrinthes végétaux permettent aujourd’hui de prolonger la visite au-delà de la cave.

À l’heure où la pression environnementale grandit, les domaines du Périgord voient dans leurs abords un terrain d’innovation et de responsabilité. Plusieurs démarches émergent :

• Prairies naturelles et corridors écologiques : Plutôt que de privilégier les gazons courts, nombre de châteaux laissent désormais place à des prairies fleuries. Cette gestion différenciée favorise la faune, notamment les pollinisateurs. En 2023, le Château Feely (Saussignac) a recensé une augmentation de 20% des espèces d’insectes entre les lisières et les abords non fauchés (Château Feely).
• Haies champêtres et vergers patrimoniaux : Leur replantation autour des bâtiments et des vignes permet de reconnecter les paysages et de renouer avec des variétés anciennes. Les vergers du Château de la Jaubertie, par exemple, accueillent pommiers, cognassiers et noyers qui racontent aussi le goût et l’histoire du Périgord Noir.
• Gestion raisonnée de l’eau : L’installation de mares et de bassins, tout autant décoratifs qu’utiles, encourage l’installation de batraciens et d’oiseaux, contribue à la régulation hydrique et à la résilience écologique.

Quelques chiffres significatifs

• Plus de 43% des domaines viticoles du Périgord ont entamé depuis 2017 une démarche de certification environnementale (Source : CIVRB, 2023).
• Près d’un tiers d’entre eux ont transformé tout ou partie de leurs abords en espaces de biodiversité protégée.

Au-delà des enjeux esthétiques ou environnementaux, les paysages des abords servent une fonction narrative, offrant une lecture ouverte du passé du lieu. Les châteaux viticoles du Périgord jouent de cette mémoire, en conservant :

• Des vestiges archéologiques intégrés : Puys, ponts, vieux moulins, lavoirs ou pigeonniers parsèment encore les abords, souvent restaurés pour servir d’espaces d’exposition ou de haltes lors des visites guidées.
• Les alignements traditionnels : Les vieux murs de pierres sèches, parfois âgés de plus de trois siècles, délimitent les parcelles mais racontent aussi le mode d’organisation agraire de la région.
• Le soin porté au petit patrimoine : Croix, fontaines, calvaires forment des repères sensibles ; leur présence est entretenue, parfois renouvelée dans l’esprit local.

Au Château de les Merles (Mouleydier), par exemple, la restauration des abords a permis de révéler la structure médiévale d’un ancien verger monastique, tout en intégrant un parcours botanique dédié aux visiteurs.

La valorisation paysagère devient un enjeu de différenciation majeur dans le développement de l’œnotourisme en Périgord. Ici, le concept est clair : proposer une expérience globale, sensorielle, où le visiteur, dès son entrée sur le domaine, est immergé dans le terroir.

1. Dégustations en plein air : Nombre de domaines organisent désormais des événements sous les arbres, à l’ombre d’une pergola florale, ou au pied des vignes, conjuguant saveurs du vin et beauté du paysage.
2. Sentiers de découverte : Des parcours balisés invitent à explorer les abords, à observer la faune et la flore, à comprendre le lien entre sol, plante et vin.
3. Art et paysage : Installations de sculptures, expositions de photographies, land art créent de nouveaux dialogues avec la nature. Le Château de Monestier La Tour, par exemple, a accueilli en 2022 une exposition itinérante d’art contemporain dans ses jardins.

Selon le CIVB (Comité Interprofessionnel des Vins de Bordeaux) et l’Office de Tourisme Bergerac Sud Dordogne, l’œnotourisme en Périgord a progressé de 12% en fréquentation sur la période 2018-2023, notamment porté par l’offre immersive des domaines ayant investi dans la valorisation paysagère (source).

Loin de se contenter des modèles hérités, les châteaux du Périgord expérimentent des formes inédites de valorisation, portées par une génération de vignerons soucieux d’écologie, d’authenticité et de surprise.

• Initiatives participatives : Certains domaines invitent les visiteurs à participer à la plantation d’arbustes, à des ateliers de gestion écologique ou à la sauvegarde d’espèces locales.
• Techno-paysages : L’intégration discrète d’éclairages solaires, de bornes interactives pour mieux lire le paysage, ou la plantation de nouveaux cépages paysagers (dédiés à l’ornementation et non à la production) ouvre la voie à une scénographie vigneronne repensée.

Citons enfin la coopération croissante entre les abords et la vie locale : marchés, concerts, fêtes traditionnelles se tiennent souvent sur ces espaces, qui deviennent dès lors carrefours culturels autant que lieux de passage.

À la croisée de l’histoire, de la nature et de la création, les abords paysagers des domaines viticoles du Périgord racontent davantage que le vin. Ils sont l’écrin vivant d’un terroir, un révélateur de sensibilité et d’attention, et le reflet d’un engagement continu des vignerons pour réconcilier beauté, hospitalité et respect des cycles naturels.

Dans ce dialogue discret entre pierres blondes, verts feuillus et vignes ordonnancées, réside sans doute l’une des clefs de l’attachement, renouvelé et contagieux, que le Périgord suscite chez tous ceux qui prennent le temps de s’y arrêter.